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10 mars 2016 | Par Pierre Puchot
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L’option russe : une transition en conservant les institutions
Depuis les attentats de Paris et Saint-Denis, l’Iran a en particulier redéfini son engagement en Syrie autour de la lutte contre Daech, qui est devenu un outil de rapprochement avec l’Occident. La rhétorique de la diplomatie publique iranienne a été modifiée en ce sens. « Avant ces attentats, explique Clément Therme, chercheur spécialiste de la politique étrangère iranienne, la rhétorique de Téhéran était simple : l’Iran présentait la guerre en Syrie comme un choix entre l’ordre et le chaos, entre l’État et l’anarchie et la prolifération des groupes terroristes, en parlant notamment de “talibanisation” de la Syrie. L’analogie était toujours faite avec l’Afghanistan des années 1980, en montrant que l’Occident s’était fourvoyé en soutenant les moudjahidines et en faisant alliance avec le djihadisme sunnite, alors que l’Iran avait vu clair en s’y opposant. Aujourd’hui, l’Iran se présente aux Occidentaux comme un rempart face au djihadisme sunnite. » Les Iraniens peuvent faire valoir que malgré leur engagement dans tous les conflits de la région, aucun attentat n’a eu lieu sur leur territoire.Cette rhétorique iranienne s’intègre dans la continuité d’une stratégie militaire adoptée dès le début de la révolution syrienne. Depuis 2011, l’émergence du triangle militaire Hezbollah-Iran-Russie a maintenu le régime de Bachar en vie, alors que dans le même temps, l’Armée syrienne libre se désagrégeait peu à peu. Ce processus de rapprochement entre les trois parties a été renforcé par ce que le chercheur Clément Therme appelle la « chiitisation subie » de la politique étrangère iranienne : en excluant l’Iran du champ religieux musulman, l’Arabie saoudite a poussé Téhéran à se rapprocher de ses clients chiites dans la région, le Hezbollah en premier lieu (lire notre article sur l’engagement chiite au Moyen-Orient).
Russes et Iraniens utilisent donc une rhétorique fondée sur le rapport de force militaire et les institutions syriennes existantes, vues par Moscou et Téhéran comme un rempart face au chaos et aux djihadistes. Les Russes comme les Iraniens ont désormais le sentiment que leur point de vue et leurs objectifs ont pris le pas sur ceux des Occidentaux, qui se sont alignés sur leurs positions. Et s’ils ne frappent que peu Daech, ils mettent en avant leurs attaques contres les djihadistes du groupe Al-Nosra, qui combat du côté des rebelles syriens. « La Russie est un acteur cynique, réaliste, glisse Clément Therme. Ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est le fait que son récit a fini par totalement dominer l’agenda de la crise syrienne. C’est une victoire de la realpolitik russe. »
Ce réalignement politique permettra-t-il un règlement de la crise syrienne, et contraindra-t-il les pays occidentaux à accepter la permanence du régime syrien honni par une large partie de sa population ? Aucune solution politique n’a encore émergé, mais tous les acteurs impliqués dans les négociations reconnaissent cependant qu’il n’y a pas de solution militaire à la crise syrienne. La question clé est désormais celle du rapport aux institutions syriennes, et leur préservation éventuelle, après le désastre engendré par la destruction de l’État irakien. « En soutenant l’État syrien, la Russie et l’Iran soutiennent le régime, explique Clément Therme. Pour autant, ni Téhéran ni les Russes ne sont attachés à la figure de Bachar al-Assad. Le régime syrien sera-t-il capable de proposer une alternative ? Pour l’instant, personne n’en sait rien. Mais l’Occident et la Russie sont d’accord désormais sur la nécessité d’une transition politique dans le cadre d’une continuité des institutions de l’État. Le problème, c’est de mettre d’accord les Syriens entre eux. Car les problèmes sont avant tout locaux, on a trop tendance à l’oublier. »
« Qu’attendre des pourparlers ? Rien ! juge de son côté Thomas Pierret, chercheur à l’université d’Édimbourg. Le régime est en position de force, et n’a aucune raison de négocier, pas plus que ses parrains russe et iranien. » En renforçant le régime de Bachar al-Assad, Moscou et Téhéran ont-ils rapproché les acteurs d’une paix dans le cadre des institutions actuelles, ce que l’opposition syrienne a toujours exclu ? Ou plus probablement, ont-ils anéanti toute chance de conclure un accord de paix durable incluant un départ de Bachar al-Assad, dans la lignée du début de la transition yéménite ? L’ouverture ou le nouveau report des négociations, la semaine prochaine, apporteront les premiers éléments de réponse à ces questions.
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